Dans son apparte­ment aux murs fram­boise, Nadine sert le thé sur la table basse de son salon. Des tas de bon­bons et gâteaux secs débor­dent de coupelles minu­tieuse­ment dis­posées. Elle croise les jambes et se lance. Son activ­ité d’assistante sex­uelle, elle en par­le libre­ment à ses amis et à qui voudra l’écouter. « C’est aus­si une façon de faire avancer le débat, avance-t-elle. C’est un sujet auquel per­son­ne ne songe. On va penser aux quo­tas dans les bureaux, l’accessibilité des trot­toirs. Les trot­toirs, c’est bien mais l’affectif et l’intimité sont au moins aus­si importants. »

 

Nadine ne s’en tient pas aux ser­vices qu’elle pro­cure, elle fait aus­si par­tie du con­seil d’administration de l’Association pour la pro­mo­tion de l’accompagnement sex­uel (Appas). Depuis un an, cette organ­i­sa­tion pro­pose une for­ma­tion pour devenir assis­tant sex­uel. Pour chaque aspi­rant, deux ses­sions sont pro­posées : la pre­mière est surtout basée sur la prob­lé­ma­tique de l’infirmité physique ; dans la sec­onde, l’ac­com­pa­g­ne­ment de cou­ples et le hand­i­cap psy­chique sont égale­ment abordés.

Il n’y a pas de rai­son que cela soit gra­tu­it. Il faut que ça con­serve une cer­taine valeur pour la per­son­ne qui demandeNadine, assis­tante sexuelle

Nadine, quin­qua psy­choprati­ci­enne, a choisi de suiv­re les deux. Depuis, elle a assisté deux per­son­nes hand­i­capées. Elle priv­ilégie les ren­dez-vous en Ile-de-France, où elle réside, mais se dit prête à se déplac­er dans d’autres régions tant la demande, en France, est forte.

Instal­lé en ban­lieue lyon­naise, Fab­rice, 50 ans, témoigne tout aus­si volon­tiers. Il affiche même une cer­taine fierté à par­ler de son expéri­ence d’aidant. Papa d’une petite fille, c’est sa femme, sexothérapeuthe, qui lui a par­lé de la for­ma­tion de l’Appas. Si, pour l’instant, il n’a ren­con­tré qu’une seule femme hand­i­capée, ce quin­quagé­naire est cou­tu­mi­er des rela­tions sen­suelles. Il tient un salon de mas­sage tantrique, une tech­nique d’attouchements éro­tiques qui éveil­lent en douceur à la sen­su­al­ité, et c’est en par­tie pour cela qu’il a voulu devenir accom­pa­g­nant. « Dans le lieu où je tra­vaille, j’ai eu déjà des deman­des aux­quelles je ne pou­vais pas répon­dre. Touch­er un corps malade, c’est quelque chose qui s’apprend. »

Des rap­ports sex­uels la plu­part du temps, mais aus­si de sim­ples caress­es, des moments de ten­dresse, des dis­cus­sions stim­u­lantes… Les deman­des des per­son­nes hand­i­capées vari­ent. Dans le cas d’une rela­tion physique, la ques­tion du rap­port à un corps malade, par­fois abîmé, se pose pour les assis­tants. « Une de mes grandes craintes, c’était de ne pas réus­sir à ban­der », con­fie Fab­rice dont la peur s’est envolée au pre­mier ren­dez-vous. Nadine n’a pas eu de blocage non plus, mais si cela devait arriv­er à l’avenir, elle se jure de l’exprimer clairement.

Fab­rice, Nadine et les autres accom­pa­g­nants ne ren­dent pas leurs ser­vices gra­tu­ite­ment. Pour une presta­tion d’une heure et demie, le tarif con­seil­lé par l’Ap­pas est fixé à 150 euros. « Il n’y a pas de rai­son que cela soit gra­tu­it, affirme Nadine. Il faut que ça con­serve une cer­taine valeur pour la per­son­ne qui demande. »

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le nom­bre de deman­des d’ac­com­pa­g­ne­ment sex­uel tou­jours en attente

Et si quelqu’un n’a pas les moyens ? « Vous allez dire que c’est très dur, mais il faut qu’il économise, car ça respon­s­abilise le deman­deur », ajoute-t-elle. Ser­vice payant, l’assistance sex­uelle s’apparente en France à de la pros­ti­tu­tion. Fab­rice n’a d’ailleurs aucun mal à faire le rap­proche­ment : « La pros­ti­tu­tion est un méti­er très hon­or­able ! » Avant de nuancer son pro­pos en rap­pelant une notion qu’il juge impor­tante : la ren­con­tre préal­able à la rela­tion physique, ponc­tuée par des dis­cus­sions télé­phoniques avant et après.

Quant à ce qui les a poussés à gliss­er du sim­ple mil­i­tan­tisme au pas­sage à l’acte, Fab­rice et Nadine restent rel­a­tive­ment évasifs. Tous deux se con­tentent d’évoquer une con­science de l’importance d’une sex­u­al­ité épanouie et sans con­trainte dans la con­struc­tion de l’in­di­vidu, hand­i­capé ou non. 

Pour aider à com­pren­dre sa démarche, Nadine sug­gère aux plus réti­cents d’analyser leur rap­port per­son­nel à la sen­su­al­ité et la sex­u­al­ité. « Les per­son­nes en sit­u­a­tion de hand­i­cap ne sont pas dif­férentes au niveau de l’affectif, des besoins et du cœur. »

En 2015, dix-neuf per­son­nes seule­ment ont été for­mées par l’Ap­pas, qui a reçu au total 118 can­di­da­tures. Un chiffre qui ne per­met pas d’équilibrer offre et demande. Actuelle­ment, 190 deman­des d’accompagnement sex­uel restent en attente.